Enchères ℘ Anksel & Lyam

Strange Night

« Un karaoké sérieusement ? »

M'exclamais-je interrompant mon nœud de cravate pour me retourner vers la tornade rousse qui finissait d'enfiler ses collants. Elle avait décidé de nous inscrire aux enchères caritatives organisées par la ville dès qu'elle en avait entendu parlé, négligeant bien sûr de me demander mon avis... J'aurais dit non, pas par manque de générosité mais par pure timidité je pense. Me retrouver à passer la soirée avec une ou un inconnu qui aurait payé pour ma présence ? J'aurais l'abominable impression d'être une sorte de prostituée ! Pourquoi ne pouvais-je pas juste donner directement une somme conséquente plutôt que de me prêter à ce jeu étrange ?

Je lui en voulais un peu de m'avoir ainsi piégé car nous étions déjà le soir des enchères, cette après-midi de plaisir physique n'étant donc sûrement que son plan diabolique pour faire passer la pilule... La fourbe, elle savait comment s'y prendre ! Et dire que j'avais même été assez bête pour me mettre sur mon trente-et-un comme elle me l'avait demandé en m'invitant chez elle... J'avais naïvement cru à une envie de jeu de rôle ou à une soirée dans un restaurant sympathique pour reprendre des forces avant la nuit... Ça n'aurait pas été la première fois, il allait falloir que je me méfie un peu plus d'elle désormais.

Hors j'avais besoin d'elle pour oublier le mariage de mon ex femme et ce qui s'y était passé, un mal pour un bien. Elle était d'ailleurs la seule avec qui je partage ce genre de chose désormais, cette étrange soirée à Toronto ayant brisé quelque chose en moi, le côté dragueur n'était plus... Coincé entre deux femmes, je couchais avec une troisième pour laquelle je ne ressentais que du respect et une profonde amitié, ne cherchez pas la logique, il n'y en a aucune. Du grand Lyam : fuir ses sentiments plutôt que de les affronter, tenter de les taire et de les oublier. Mais même les bras de la jolie rousse n'étaient plus suffisant, j'allais bientôt devoir me rendre à l'évidence...

« Tu as une très belle voix et c'est quand même un peu moins creepy qu'un repas en tête à tête ou un week-end hors de la ville non ? Tu avais aussi une soirée surprise ou une soirée dansante... Tu aurais préféré ? »

Me taquina-t-elle, déjà de retour près de moi pour terminer mon nœud de cravate avec un sourire malicieux.

« J'aurais préféré faire un chèque... »

Soupirais-je, un sourcil relevé mais me laissant docilement faire. Elle rit de bon cœur, de son rire cristallin et contagieux que j'aimais tant. Un vrai rayon de soleil cette fille. Et une casse couille aussi, on ne peut pas tout avoir.

« Si jamais l'envie deviens trop pressante, tu peux toujours en faire un à mon nom monsieur bougon ! »

Plaisanta-t-elle, tapant doucement sur mon torse, son œuvre visiblement autant terminée que la conversation. Je soupire une fois de plus, conscient que je n'ai pas le choix puisque je suis inscrit. Joie et bonheur ! C'est en traînant la patte que je la suis jusqu'au lieu des enchères qui me rendent étrangement mal à l'aise. L'impression d'être une bête de foire malgré l'ambiance assez festive, la gêne d'être ainsi mis en avant moi qui préfère rester dans l'ombre. Il y a beaucoup de monde, beaucoup de bruit... Et Frida dans la foule. Nous ne nous sommes pas vraiment vus depuis le mariage ce qui était préférable pour mon âme. Je suis d'ailleurs étrangement soulagé qu'elle perde l'enchère face à un homme que je ne connais pas. C'est dire dans quel état j'étais !

« Tu n'aurais pas quelque chose à me dire concernant la jolie fille qui a lutté pour t'avoir ? »

M'interrogea mon amie une fois que je fus sorti de scène, remporté par un certain Aksel. J'avais eu un sourire d'apparat très crédible mais vite effacé, le corps encore fébrile du stress de ce manège et de la présence de la belle Frida... Je ne savais pas quoi penser de ce qui nous était arrivé, encore hanté par la culpabilité vis-à-vis de la mystérieuse Lilibeth à qui j'écrivais toujours bien qu'un peu moins régulièrement justement à cause de ça. Deux femmes pour qui je ressens d'étranges sentiments, mon cœur trop rouillé, la peur de vivre un nouvel échec... Pourquoi ? J'avais été si bien pendant deux ans à ne ressentir que du désir physique ! C'était bien aussi les nuits sans lendemain, les femmes qui s'enchaînent ! Mais le destin en avait décidé autrement... Quelle merdier !

« Nope, rien du tout. C'est une amie c'est tout. »

Mentis-je, sentant mon cœur se serrer. La jeune femme me lance un regard suspicieux, elle me connaît trop, elle sait lire en moi comme dans un livre ouvert... Une chance que ce soit à son tour et elle est bien plus motivée que moi, bondissant sur scène comme un félin en quête de sa future proie. Une belle femme au tempérament de feu... Je profite de ce moment pour m'esquiver, lui envoyant un texto d'excuse en bois, prétextant avoir été appelé par le travail. Ça arrive remarque, ce n'est donc pas tout à fait une excuse en bois... Une chance que mon jeune protégé ne soit pas dans les parages, il m'aurait grillé.

Le lendemain soir

Le lendemain, j'avais opté pour une tenue bien moins cérémonieuse pour me rendre à la soirée. Un simple jeans sombre et une t-shirt bleu foncé sobre. C'était une soirée karaoké, pas un gala après tout... J'aimais d'ailleurs beaucoup chanter en réalité mais je n'avais plus fait ce genre de soirée depuis des lustres et ce n'était pas le genre de plaisir que j'aimais admettre. À Toronto, nous en faisions souvent avec mon ex-femme et nos amis. Il y avait une compagnie qui proposais des salles privées où nous pouvions ne chanter qu'entre nous, comme ils en font au Japon. C'était bien moins gênant que devant une foule d'inconnus ! J'espérais presque que ce soit ce genre de soirée d'ailleurs mais je n'en savais rien, je ne m'étais pas plus posé de question que ça, me contentant de me rendre à l'adresse donnée.

Là, devant la bâtiment, je reconnu l'homme que j'avais aperçu dans la foule et à qui je n'avais pas encore adressé la parole. Nerveusement malgré un air sûr de moi et un sourire avenant, je m'approche de lui et lui tends une main amicale. Après tout, il a dépensé beaucoup d'argent pour cette soirée, c'est vraiment très généreux de sa part. Surtout que c'est risqué, je pourrais très bien chanter comme une casserole et être un gars lourd qu'il va devoir supporter pour la soirée ! Danger réciproque d'ailleurs... Et s'il était complètement taré ? S'il était bizarre voire même réellement dangereux ? Bah, j'étais flic et je savais me défendre au pire. Puis je préférais ça à une soirée malaisante avec Frida en réalité. Advienne que pourra donc !

« Aksel ? Désolé je ne suis pas très en avance. »

Avouais-je. J'avais beaucoup retardé mon départ à vrai dire... Mais j'étais là maintenant, et avec seulement trois petites minutes de retard. Ça pourrait être pire non ?